Maîtriser la langue de l’école

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 » Scolariser un enfant dans une classe où il ne comprend rien à ce qu’on lui dit ?  »
Pour les enfants venus des quatre coins du monde et qui n’ont pas de mots en commun, l’apprentissage de la langue de l’école est essentiel pour s’intégrer et progresser.

En quelques mois, au sein d’une classe d’accueil pour élèves non francophones, ils vont apprendre le français. À la fin de l’année, ils rejoindront la classe qui correspond à leur âge, pour poursuivre normalement leur scolarité. Un documentaire français de 50′ révèle cette pédagogie particulière.

L’avenir de ces classes spécifiques fait débat.
On pointe les effets négatifs de ces classes qui mettent les élèves « à part ». « Pour ces élèves qui ont été « cocoonés » pendant un an, le plus dur reste à venir et ils échouent trop souvent par la suite ».
Mais « Les modes actuels d’intégration semblent mécontenter tout le monde : d’un côté, les professeurs de français de la structure spécifique voient comme un crève-cœur leurs bons élèves peiner et être souvent mis progressivement en échec dans la classe ordinaire (au point qu’ils choisissent, dans certains cas, de les « garder » au-delà de la durée légale) ; d’un autre côté, les professeurs des classes ordinaires, qui intègrent des ENAF (élèves nouvellement arrivés en France – ndlr), expriment tous l’idée que ces derniers ont rarement le niveau nécessaire pour être intégrés ».

Tous s’accordent au moins sur un point : pour réussir l’accueil des élèves non francophones sur la durée, l’ensemble de l’équipe éducative doit être mobilisée. Et sans un soutien hiérarchique (et politique) clair, il y a peu de chance que les choses s’améliorent.

ÉDUCATION ENQUÊTE – MEDIAPART – 22 NOVEMBRE 2013 | PAR LUCIE DELAPORTE

La classe où l’on apprend le français

Chaque année en France, près de 40 000 enfants intègrent le système scolaire sans parler ni comprendre le français. Le documentaire que nous vous présentons les suit durant une année dans une classe spécifique à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine). Classe ghetto ou sas indispensable ? Le gouvernement s’interroge sur leur évolution.

Ils sont assis silencieusement sur le même banc, l’air un peu perdu au milieu du tumulte de la cour de récréation. L’année scolaire vient de commencer, ces enfants – venus des quatre coins du monde – n’ont pas de mots en commun. Grâce à leur professeur, Alain Gillier, ils vont en quelques mois, au sein d’une classe d’accueil pour élèves non francophones, apprendre le français. À la fin de l’année, ils rejoindront la classe qui correspond à leur âge, pour poursuivre normalement leur scolarité.

C’est à cette éclosion que nous permet d’assister la caméra d’Emmanuelle Godard et Hervé Kern. Tourné durant l’année scolaire 2010-2011 dans une école primaire de Bois-Colombes, leur film suit une classe de CLIN (Classe d’initiation pour non-francophones récemment rebaptisée UPE2A pour unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants). Une classe qui a accueilli, cette année-là, dix-huit enfants âgés de 5 à 11 ans en provenance d’Espagne, d’Ukraine, de la République démocratique du Congo, de Pologne, d’Équateur, du Brésil, du Sri Lanka, de Géorgie, d’Argentine, de Roumanie, du Maroc et de Côte d’Ivoire.

Près de 40 000 enfants sont dans cette situation chaque année, pour moitié dans le premier degré, pour moitié dans le secondaire, selon des chiffres issus d’un rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale. Leurs conditions d’entrée sur le territoire n’ont souvent rien de commun. De l’élève britannique dont la famille est venue pour des raisons professionnelles à celui dont les parents sont réfugiés politiques tchétchènes, ces classes accueillent des profils très différents…

Dans le film, Djo, arrivé de République démocratique du Congo, raconte avec ses quelques mots des scènes de guerre. Il n’a pratiquement jamais été scolarisé (voir aussi notre boîte noire). L’école doit faire avec cette diversité. « Notre chance, c’est leur motivation », raconte Alain Gillier qui suit ce public depuis une trentaine d’années. « Ce sont des élèves qui ne sont jamais en retard. Jamais, pas cinq minutes. Une fois, j’avais oublié de donner des devoirs à un élève : il est venu me voir pour me le rappeler ! »

La politique d’accueil des enfants nouvellement arrivés en France (ENAF) ou allophones s’est structurée à partir de la fin des années 1970 pour répondre aux nouveaux flux migratoires. Il y a tout juste un an, le ministère de l’éducation nationale publiait trois circulaires (lire ici) pour revitaliser cette politique. Il y avait urgence. En 2009, un rapport de l’inspection générale pointait ainsi les graves défaillances d’une politique tombée en déshérence, par désintérêt sans doute plus que par rejet.

En l’absence d’un véritable pilotage national, le bon fonctionnement de ces dispositifs dépend souvent de la bonne volonté des acteurs de terrain ou du soutien de la hiérarchie académique. Au total, les situations sont donc localement très contrastées. Selon les chiffres officiels du ministère, à Poitiers, moins de la moitié des primo-arrivants bénéficiaient d’un dispositif de soutien spécifique contre la totalité d’entre eux à Rouen. De plus, derrière ces statistiques, la prise en charge réelle de ces élèves est très variable. « Selon les moyens dégagés, les élèves ne sont en CLIN parfois qu’une heure et demie par semaine, cela n’a plus aucun sens », nous racontait récemment Élisabeth Gagneur, responsable du collectif lyonnais C.L.A.S.S.E.S. pour la scolarisation des enfants des squats.

Les rapporteurs se demandaient si le peu d’empressement de la rue de Grenelle à améliorer l’accueil de ces élèves n’avait pas à voir avec leur faible nombre (40 000 pour 12 millions d’élèves) ou à l’absence de groupes de pression en leur faveur « contrairement à ce qui se passe pour la scolarisation des handicapés ». Luc Chatel, alors ministre de l’éducation du gouvernement Fillon, l’avait trouvé dans l’ensemble si peu à son goût qu’il avait bloqué la publication du rapport (il n’a été rendu public qu’en mai 2012).

Il faut dire que le bilan du dernier quinquennat sur ce front n’est pas brillant. Au moment où il fallait trouver 80 000 postes à supprimer, ces dispositifs ont pu être les variables d’ajustement idéales (lire notre article sur la situation en Haute-Garonne). « Les gens qui travaillent dans les CASNAV (Centre académique pour la scolarisation des enfants allophones) ont souffert d’un discours très négatif dans la hiérarchie, ce qui faisait que les enseignants qui avaient envie d’accueillir ces enfants ne se sentaient pas très soutenus, assure la ministre déléguée à la réussite éducative George Pau-Langevin. Maintenant, ils savent que nous les soutenons », poursuit celle qui a, ces derniers mois, multiplié les déplacements mais sans dégager de moyens supplémentaires. « Nous avons surtout changé le discours et répété à toute la hiérarchie nos priorités », reconnaît-elle.

En réalité, l’avenir de ces classes spécifiques fait débat. Un certain nombre de chercheurs, à l’instar de la sociologue Nathalie Mons, ont pointé les effets négatifs de ces classes qui mettent les élèves « à part ». « Pour ces élèves qui ont été « cocoonés » pendant un an, le plus dur reste à venir et ils échouent trop souvent par la suite », explique le responsable du CASNAV de Grenoble, Guy Cherqui. « Les modes actuels d’intégration semblent mécontenter tout le monde : d’un côté, les professeurs de français de la structure spécifique voient comme un crève-cœur leurs bons élèves peiner et être souvent mis progressivement en échec dans la classe ordinaire (au point qu’ils choisissent, dans certains cas, de les « garder » au-delà de la durée légale) ; d’un autre côté, les professeurs des classes ordinaires, qui intègrent des ENAF (élèves nouvellement arrivés en France – ndlr), expriment tous l’idée que ces derniers ont rarement le niveau nécessaire pour être intégrés », soulignait déjà le rapport de l’inspection générale.

Ne faut-il pas plonger directement dans le grand bain les élèves allophones en leur apportant un soutien quelques heures par semaines, comme le recommande l’Europe qui considère ces classes comme des classes ghetto ? Le sujet est sensible, notamment chez les enseignants spécialisés. Ainsi Alain Gillier, à Bois-Colombes, ne tient pas à devenir, « comme c’est le cas dans certaines circonscriptions, le prof qui va de classe en classe avec sa petite mallette ». La ministre explique vouloir avancer prudemment : « L’objectif est que le plus rapidement possible tous les enfants soient scolarisés ensemble mais il y a quand même une difficulté majeure à scolariser un enfant dans une classe où il ne comprend rien à ce qu’on lui dit. »

Tous s’accordent au moins sur un point : pour réussir l’accueil des élèves non francophones sur la durée, l’ensemble de l’équipe éducative doit être mobilisée. Et sans un soutien hiérarchique (et politique) clair, il y a peu de chance que les choses s’améliorent.

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